Le Comte de Lacépède – Naturaliste lot-et-garonnais de renom
Le bien-être et, en corollaire, la lutte contre la souffrance animale sont devenus aujourd’hui une préoccupation mondiale – du moins chez les peuples qui ne connaissent plus la faim. Il n’en a pas toujours été ainsi. Au XVIIe siècle, le philosophe Descartes (1596-1650) considérait les animaux comme des machines, et le théologien Malebranche (1638-1715) frappait son chien en disant : « Ça crie, mais ça ne sent pas ! » La Fontaine (1621-1695), qui prouva par ses fables combien il était attentif à la faune, eut beau protester dans une lettre vibrante adressée à son amie Madame de La Sablière, l’heure n’était pas encore venue de plaider la cause des animaux. Quant au siècle suivant, le siècle des Lumières, qui inventa les Droits de l’homme et se fit l’infatigable dénonciateur des injustices, on serait bien en peine de trouver la moindre ligne se rapportant à la souffrance des animaux dans les écrits.
Bernard-Germain de Lacépède (1756-1825), né à Agen de famille de vieille noblesse lot-et-garonnaise, se tourne vers les études naturalistes, après quelques tentatives dans d’autres directions. À son arrivée à Paris, il se lie d’amitié au célèbre Georges Louis Leclerc de Buffon (1707-1788). Le Comte de Lacépède contribue à la rédaction de la non moins célèbre « Histoire naturelle, » publiée par Buffon. Il rédige des traités sur les amphibiens, les reptiles et les poissons, tout en n’hésitant pas à écrire qu’ils ne sont pas beaux et ne possèdent rien de la superbe de l’oiseau ou du cheval. C’est la grande époque des ménageries du Jardin du Roi à Paris, qui deviendra plus tard le Museum d’histoire naturelle. Les animaux y sont entretenus en bon état. Leur bien-être n’est pas un sujet et encore moins ce qu’ils pourraient ressentir. Quant à ce qu’ils pourraient penser ou à leurs éventuels droits, la question ne se pose pas.
Première Loi de protection des animaux – Le Député Delmas de Grammont
Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour qu’un autre lot-et-garonnais, né à Miramont-de-Guyenne, le général de Gramont (1796-1862), soit à l’initiative de la première Loi destinée à la protection de l’animal. Le 2 juillet 1850, le Député Jacques Delmas de Gramont fait voter par l’Assemblée le célèbre texte qui stipulait ceci : « Seront punis d’une amende d’un à quinze francs et pourront l’être d’un à cinq jours de prison ceux qui auraient exercé publiquement de mauvais traitements envers les animaux domestiques. » Certes, il n’était pas encore question de la faune sauvage mais l’idée était lancée et allait peu à peu imprégner les esprits. En 1859, Victor Hugo écrit un émouvant poème montrant un enfant cruel qui martyrise un crapaud. Quelques années plus tard, Émile Zola (1840-1902) laisse des pages magnifiques à travers lesquelles il confie son amour des bêtes et la compassion que lui inspire leur souffrance, notamment dans « Germinal, » où il évoque la destinée terrible des chevaux que l’on descendait au fond des mines pour tirer les chariots de charbons, pauvres martyrs, qui restaient jusqu’à leur mort dans ces galeries souterraines sans plus jamais revoir le jour. C’est d’ailleurs aux chevaux que pense le général de Gramont lorsqu’il fait voter sa fameuse Loi. Officier de cavalerie, il fonde la même année la Ligue française de protection du cheval (LFPC), qui existe encore aujourd’hui.
Quand l’homme se préoccupe toujours plus du sort de l’animal
Si dans l’histoire, le rapport à l’animal reposait sur l’utilitarisme, cette représentation tend à s’estomper dans une société de plus en plus urbaine et détachée de ces préoccupations. Depuis la fin des années 1950, avec une nette accélération du phénomène depuis les années 1980, l’élevage de rente : bétail ou volailles pour la consommation humaine, comme l’abattage des animaux et la mise à l’étal de la viande, ont connu une délégation progressive, assortie d’une relégation pudique en des lieux éloignés du quotidien et du regard : les bâtiments d’élevage et les abattoirs. Tandis qu’une industrialisation aseptisée de la production de viande s’était organisée, les années 2010 marquent un nouveau tournant historique, avec l’avènement de la notion de bien-être animal, pour lequel une forte exigence caractérise désormais les attentes de la société. Parallèlement, la fin du XXe siècle voit l’animal de compagnie accéder à un rang affectif et à une anthropomorphisation de son image qui lui confère souvent une place au sein de la famille, dont il devient souvent un membre à part entière. Il en va de même de l’animal de travail, chien ou cheval par exemple.
Ces changements ne sont pas anodins. Ils traduisent une anthropomorphisation grandissante des représentations de l’animal. La littérature, comme le cinéma, sont là pour nous rappeler que ce n’est pas un fait nouveau. Les fables de la Fontaine, qui, déjà, utilisaient les animaux pour critiquer la société ou, plus récemment, le roman de Georges Orwell, « La ferme des animaux » ou l’œuvre emblématique d’Eugène Ionesco, « Rhinocéros » illustraient et donnaient à réfléchir sur les totalitarismes du XXe siècle. En 1942, révélateur de changements plus profonds, Bambi, de Walt Disney, met en scène des animaux qui parlent. Le sujet est néanmoins traité de façon naturaliste. Les animaux sont dessinés de façon fidèle, dans des attitudes réalistes. Mais désormais, dans les dessins animés, les animaux portent des vêtements, utilisent des téléphones portables et se tiennent debout ! La distance entre l’animal de rente, celui de compagnie et l’animal sauvage a disparu. La nature est quasi absente du décor. La traditionnelle distance ontologique entre l’homme et l’animal s’efface. C’est le cas, par exemple, dans « Zootopie » produit par les studios Disney en 2016.
Rapport à l’animal et à la société – Quelles perspectives ?
Un peu comme si tout ce qu’ont dit Maupassant, Vialard, d’Ormesson, Vincenot, Tourgeniev et tant d’autres devenait inaudible, deux questions interpellent l’opinion publique à propos de la chasse : le rapport à la mort et l’éthique. Aujourd’hui, le refus de considérer que la mort fait partie intégrante de la vie, établit un contexte sociétal et philosophique nouveau. Il place le chasseur face à une incompréhension grandissante, comme bien d’autres activités traditionnelles, notamment l’élevage de rente ou, bien sûr, la corrida. Des siècles durant, personne ou presque ne s’est posé la question de la raison d’être de la chasse et celle-ci était même une source majeure d’inspiration des arts, peinture, littérature, architecture ou même musique. Pourquoi chasser ? Autrement dit, prendre la vie d’un animal sauvage non pas pour se nourrir mais pour donner plus d’intensité à la sienne ? Différents courants de pensée questionnent le rapport de l’homme à l’animal et s’invitent dans le débat public. L’approche welfariste reconnaît l’importance du bien-être animal d’un point de vue moral mais le subordonne aux intérêts de l’homme. L’approche écologiste privilégie la biodiversité et la santé des écosystèmes. Elle peut devenir radicale lorsqu’elle reconnaît la sensibilité des plantes ou une forme de conscience. L’approche animaliste ou « des droits de l’animal » se réclame, elle, de l’anti-spécisme. Elle prône une égalité morale entre hommes et animaux, avec notamment la reconnaissance de droits inviolables tels que celui à la vie, à ne pas être séparés de leur famille ou détenus… Il ne s’agit plus ici seulement de degrés mais d’un militantisme pour un ordre moral très éloigné des conceptions traditionnelles.