Les chevauchées d’Henri IV en Albret
Alain Paraillous, professeur de lettres en retraite et écrivain, a publié de nombreux ouvrages, dont des romans historiques, qui célèbrent la civilisation paysanne et la ruralité. En d’autres circonstances, il se plaît à conter combien les rois de France ont aimé la chasse. C’était même, pour la plupart d’entre eux, une passion dont on pourrait dire qu’elle fut consubstantielle à leur fonction, tant elle les a caractérisés. Même Louis XVI (règne de 1774 à 1792) avait fait de la chasse à courre, chasse noble par excellence, l’une de ses distractions favorites. D’ailleurs, le fameux mot « rien, » qu’il notait souvent dans son carnet, faisait allusion à des parties de chasse infructueuses et non à ses problèmes de sexualité, comme on l’a cru longtemps. Pour Henri IV (1553-1610), le cas est particulier. À la différence des autres monarques qui ont régné sur la France, son esprit était plus rural que citadin, par sa nature, peut-être, mais, certainement aussi, en conséquence de l’éducation voulue par son père, qui avait tenu à ce qu’il soit élevé parmi les petits paysans des alentours de Pau.
Ce contact avec des enfants de classes sociales plus modestes a, sans aucun doute, largement contribué à déterminer sa proximité affective avec le peuple chez le futur « Vert-Galant. » De nombreuses biographies hagiographiques, dont il fut et continue d’être l’objet, célèbrent ce trait. Rappelons-le, les terres d’Albret et le château de Nérac accueillaient très régulièrement le Roi Henri IV. Mi-historique, mi-légendaire, son idylle, avec Fleurette, l’humble fille d’un jardinier de Nérac, fait partie de ces images d’Épinal, comme celles qui le montrent lors de parties de chasse, le plus souvent partagées avec des gens simples. Sa meute, composée de bâtards et de chiens blancs du Roy, serait à l’origine des races de chiens blancs que sont les Porcelaines et les Billys. Près du CDNPC, à deux pas de la route qui mène de Houeillès au carrefour du Placiot, un solide bâtiment du XVIe siècle, la Tour d’Avance, passe pour avoir été un de ces pavillons où le monarque venait se reposer après avoir chassé le lièvre ou le chevreuil. Un lieu pittoresque, certes, mais loin de toute pompe royale, ce qui confirme l’image que l’histoire et la légende ont retenue du roi gascon, « noste Henric. »
La chasse au vol
Art ancestral, dont les origines remontent à l’Antiquité, la chasse au vol consiste à dresser – affaiter selon le lexique consacré, un rapace dont la taille et la façon de chasser sont choisies en fonction du gibier chassé. Durant l’Antiquité, les Cimmériens et les Scythes, notamment, pratiquaient cette chasse originaire des steppes et des hauts plateaux d’Asie centrale, à pied ou à cheval, voire dans un char tiré par des chevaux, si l’on se réfère aux bas-reliefs de l’Égypte ancienne. On dit du célèbre empereur mongol Gengis Khan (XIIe – XIIIe siècle), qu’il suspendait ses guerres pour pratiquer la chasse au vol avec son adversaire. En Europe et dans le monde islamique, la fauconnerie se développe dès le début du Haut Moyen-Âge au sein de l’aristocratie, des cours princières et des cours royales. Alors qu’Henri IV était grand veneur, son fils, le jeune Roi Louis XIII (1610-1643), développe des goûts empreints d’une certaine forme d’opposition. Il se prend de passion pour le monde des oiseaux, qu’il étudie et pour la fauconnerie, qui, en France, connaît une apogée sous son règne.
À partir du XVe siècle, l’invention du fusil de chasse réduit peu à peu l’intérêt de la chasse au vol. Les coupes sombres de la révolution de 1789 auraient pu porter un coup fatal à cet apanage de la noblesse que constitue cette chasse d’apparat. Il n’en fut rien. Comme il l’a fait pour la vénerie et pour la louveterie, Napoléon Bonaparte a restauré cette chasse. Néanmoins, au XIXe siècle, elle est tombée peu à peu en désuétude, jusqu’au sortir de la seconde guerre mondiale, où Abel Boyer, un passionné originaire du Périgord, lui donne un second souffle. Il ne s’est pas démenti depuis. De nouveaux adeptes viennent chaque année grossir les rangs des passionnés de cette chasse aussi belle qu’exigeante. Aujourd’hui, elle est pratiquée dans un peu moins d’une centaine de pays en Europe, en Mongolie, au Kazakhstan, au Kirghizistan, aux Émirats Arabes, au Maroc ou aux États-Unis. En 2010, la France a obtenu son inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.
Haut vol et bas vol
La chasse de haut vol ou fauconnerie, se pratique avec des oiseaux de leurre, comme les faucons pèlerins, les sacres, les laniers, ou les gerfauts. Deux techniques se côtoient. Le « vol d’amont » consiste à donner au rapace le temps de monter haut dans le ciel, avant que le gibier à plume soit débusqué, généralement par un chien d’arrêt, qu’emploient plus de la moitié des fauconniers. Le faucon plonge alors sur son gibier, en piqué, à la vitesse de 250 à 300 km/h. Perdrix, faisan, canard ou corvidés se voient alors capturés en plein vol. Souvent, une étonnante complicité se tisse entre chien et rapace. Dans le cas du « vol à vue, » au contraire, le rapace part du poing du chasseur lorsque le gibier s’envole. Le rapace se lance alors dans une poursuite aérienne de très haute vitesse avec des montées et des piqués. Le faucon heurte sa proie en plein vol, s’en saisit avec ses serres dans la chute qui les emmène tous deux au sol. On dit qu’il buffète.
La chasse de bas vol ou vol de poing ou, encore, autourserie, met en scène le talent d’un épervier, d’un autour ou, depuis une petite vingtaine d’années, de la buse de Harris, originaire d’Amérique. À la vue de sa proie, l’épervier prend son envol depuis le poing de son maître et monte en flèche – on dit qu’il fait carrière. Aujourd’hui, on chasse palombe, faisan et corvidés avec cette technique. Dans les temps jadis, on chassait ainsi le héron, le cygne ou le milan ainsi que, chez les mammifères, le lapin ou le lièvre. L’aigle, lui, est capable de poursuivre et d’attraper un lièvre, un renard, un loup ou un chevreuil en pleine course. L’affaitage demande patience et abnégation. Habituer l’oiseau de proie à venir sur le poing pour chasser exige des semaines de travail. Il s’agit tout d’abord de l’affriander. C’est ainsi que le lexique dédié désigne le fait d’aiguiser son appétit avec des petits morceaux de viande ou « beccade », dénomination tirée de la « béquée » que l’on donne.
Le maintien en condition d’un oiseau de chasse au vol nécessite deux heures de soins par jour et un vol au minimum toutes les 48 heures, voire tous les jours. Entre autres équipements, le chaperon en cuir constitue parfois une véritable œuvre d’art à lui seul. Il est destiné à masquer la vue du rapace pour ne pas l’inquiéter durant toutes les phases de transport. L’usage du chaperon, importé d’Orient, semble ne s’être réellement généralisé en France qu’à partir du XVIe puis au XVIIe siècle. Le fauconnier, l’autoursier ou l’aiglier, portent leur rapace au poing. Pour se protéger des puissantes serres de l’oiseau de proie, ils s’équipent d’un élégant mais non moins épais, gant de cuir. Aujourd’hui, présidée par le lot-et-garonnais Christian PABIS, l’Association des Fauconniers Occitans, regroupe une cinquantaine de membres dans le Sud-Ouest, dont une douzaine de lot-et-garonnais et, parmi eux, deux aigliers.