Une longue histoire lot-et-garonnaise
Des mammifères et des oiseaux exogènes
L’implantation d’espèces exotiques envahissantes est une des causes majeures de perte de biodiversité à l’échelle de la planète. Elle constitue une des cinq causes principales de cette régression en Europe, où le phénomène s’est accru de 70 % au cours des cinquante dernières années. Les conséquences négatives et la gestion de ces espèces représentent un coût financier estimé à 117 milliards d’euros depuis les années 1960. Mettre un terme à la présence de ces animaux et de ces végétaux dans le milieu naturel est néanmoins peu aisé.
En Lot-et-Garonne, plusieurs espèces sont présentes ou susceptibles de l’être. Il s’agit de la bernache du Canada, du chien viverrin, du ragondin, du rat musqué, du raton laveur et du vison d’Amérique. Les deux rongeurs aquatiques occasionnent des dégâts conséquents aux berges des cours d’eau et aux digues mais aussi aux cultures agricoles, sans oublier la flore fragile et protégée des zones humides. Ils sont porteurs de pathologies lourdes de conséquences comme la leptospirose ou la douve du foie. Le vison d’Amérique semble être au moins en partie responsable du mauvais statut de conservation du vison autochtone.
Lorsque François Léger, technicien à l’Office français de la biodiversité (OFB – ex-ONCFS), a étudié l’histoire de l’introduction des mammifères exogènes en France, ses recherches l’ont conduit jusqu’en Lot-et-Garonne et plus précisément au domaine de Courcelles, dans la petite localité de Monbahus, où vécut un homme étonnant, passionné d’élevage.
Valmy Beaune – Éleveur naturaliste à Monbahus en Lot-et-Garonne
Au tout début du XXe siècle, le lot-et-garonnais Valmy Beaune fonde un élevage avicole. Les canaris saxons, les diamants de Gould ou les perruches ondulées, jusqu’à 3 000 pour ces dernières, y côtoient les bruants, les chardonnerets et les pinsons achetés aux tendeurs de matoles locaux. Autorisé en son temps, le commerce de ces derniers va bon train. Il y élève aussi des volailles rares et très prisées. À peine fixée, la célèbre race de lapin à la fourrure duveteuse, le lapin Rex, intègre l’élevage de Monbahus. Les animaux de basse-cour, que Valmy BEAUNE sélectionne avec enthousiasme, forgeront sa réputation et lui assureront la notoriété, largement au-delà de nos frontières nationales.
Alors qu’il est très actif dans le commerce des peaux, celles de lapin comme celles des sauvagines, martres, putois, fouines ou taupes, qu’il achète aux gardes-chasses et aux paysans, la valorisation commerciale des fourrures le préoccupe chaque jour un peu plus. Valmy Beaune est également taxidermiste et prépare toutes sortes d’oiseaux et d’animaux. Dès 1917, il débute ses premiers essais d’élevage de fouines. Devenues familières, elles le suivent jusqu’au bistrot du village. Déçu de ne pas parvenir à les faire reproduire, il abandonne l’expérience quelque temps, puis, en 1926, il reprend ses essais. Au mois d’avril, il parvient à faire reproduire le putois en captivité. C’est une première en France. En 1927, il crée « l’Élevage français d’animaux à fourrure. »
Un lot-et-garonnais aux grandes heures de l’acclimatation d’espèces exogènes
« Éleveur-naturaliste » de renom, il est membre de la Société nationale d’acclimatation du Museum national d’histoire naturelle de Paris (MNHN). Il y partage sa passion avec ses collègues et noue des liens jusqu’à l’étranger, améliorant ainsi ses connaissances en matière de faune exotique. Dès lors, il commence à importer la sarigue de Virginie, marsupial plus connu sous le nom d’opossum, le raton laveur, la mouffette, le vison d’Amérique, le rat musqué et le chinchilla. À cette époque, le renard argenté est considéré comme une mine d’or. Valmy Beaune en possède personnellement un couple. Dès le milieu des années 1920, Valmy Beaune s’intéresse à l’élevage d’une nouvelle espèce : le ragondin, dont la peau lui paraît excellente pour la fourrure. En 1927, le Ministre de l’agriculture français lui confie une mission internationale : trouver et importer des ragondins sur le continent américain pour les acclimater en France et initier un élevage. Ses relations privilégiées avec l’Argentine lui permettent d’importer les premiers spécimens par bateau. Débarqués à Bordeaux, puis acheminés en train jusqu’à Tonneins, c’est en camion qu’ils terminent leur voyage au domaine de Courcelles.
Les premiers jeunes naissent en 1928 et le cheptel atteint rapidement les 400 spécimens. Valmy Beaune se passionne pour l’élevage de cette espèce et en assure la promotion à travers le pays tout entier. À la fin des années 1930, la France comptait déjà plusieurs centaines d’élevages de ragondins. En novembre 1929, Valmy Beaune reçoit le grand prix d’honneur de la grande exposition internationale d’animaux à fourrure de Paris et le prix spécial pour ses ragondins de la variété « Islas Parana. » Autres temps, autres préoccupations…
Le ragondin
Description de l’espèce
Nom scientifique : Myocastor coypus
Ordre : Rongeur
Famille : Capromyidé
Genre : Myocastor
Poids : de 6 à 7 kg jusqu’à une douzaine
40 à 60 cm de longueur + queue cylindrique et glabre de 25 à 40 cm de longueur
Pelage brun-gris – Pattes arrière palmées – Grandes incisives orangées – Mamelles sur le flanc (la femelle allaite dans l’eau, en nageant) – Laissées verdâtres et cannelées, cylindriques et effilées à une extrémité, 3 cm de longueur,1 cm de diamètre.
Originaire d’Amérique du Sud, le ragondin a été introduit en France pour la production de fourrures dès la fin du XIXe siècle. La Première Guerre mondiale entraîne l’abandon de l’élevage mais dès la fin de celle-ci, une nouvelle tentative réussit. Échappés des élevages ou lâchés volontairement, des individus s’implantent dans la nature. Prolifique, le ragondin peut se reproduire tout au long de l’année. Il donne naissance à une ou deux portées par an de 2 à 5 jeunes, après 128 à 132 jours de gestation. Les jeunes sont matures sexuellement à l’âge de 6 mois. En Lot-et-Garonne, les populations se sont développées peu à peu, entre les années 1980 et 1990, pour coloniser le département entier.
Strictement inféodé au milieu aquatique, il vit en petits groupes familiaux. Actif plutôt la nuit et aux heures crépusculaires, le ragondin passe généralement la journée au terrier. Creusés dans les berges des cours d’eau ou des plans d’eau, ces derniers fragilisent considérablement les ouvrages. Des coulées de 15 à 20 cm de large, très marquées, conduisent du terrier vers les zones de gagnage qui sont rarement très éloignées. Le ragondin s’y repère grâce à son flair. Végétarien, il se nourrit de la végétation aquatique et des cultures agricoles dans lesquelles il occasionne de sérieux dégâts. En hiver, il s’attaque également à l’écorce des jeunes arbres ou aux pousses tendres.
Statut de conservation IUCN (France) : NAᵃ non applicable
(ᵃ) introduite
Le rat musqué
Description de l’espèce
Nom scientifique : Ondatra zibethicus
Ordre : Rongeur
Famille : Cricétidé
Genre : Ondatra
Poids : 1 kg à 1,5 kg
Longueur : 30 à 40 cm + queue glabre et plate de 25 cm – Pelage brun soyeux – Pattes arrière palmées – Grandes incisives orangées – Laissées brunes à noires, de forme allongée, 1 cm à 1, 2 cm de longueur et de 4 à 5 mm de diamètre, souvent déposées en tas.
Le rat musqué est originaire d’Amérique du Nord. À peu de variations près, il vit et se comporte comme le ragondin. Il se reproduit de fin février à fin septembre. Après une gestation de 29 à 30 jours, le rat musqué donne naissance à 3 portées par an de 5 à 9 jeunes, sevrés à 3 mois et matures sexuellement dès 5 mois. Il peut parfois consommer de la nourriture carnée, principalement les moules d’eau douce. Dans les marais, il peut construire des huttes de végétaux. Sa queue présente une forme aplatie dans le sens vertical. Lorsqu’il nage, il l’actionne latéralement. L’introduction du rat musqué en France était motivée non seulement par la volonté de développer son élevage mais aussi de l’implanter dans le milieu naturel. Il est présent partout en Lot-et-Garonne mais en assez faibles effectifs, contrairement au ragondin qui est très abondant.
Statut de conservation IUCN (France) : NAᵃ non applicable
(ᵃ) introduite
Le raton laveur et le chien viverrin
Raton laveur
Description de l’espèce
Nom scientifique : Procyon lotor
Ordre : Carnivore
Famille : Procyonidé
Genre : Procyon
Poids : de 4 à 9 kg
Longueur : 50 à 70 cm – Queue annelée de 25 à 30 cm.
Chien viverrin
Description de l’espèce
Nom scientifique : Nyctereutes procyonoides
Ordre : Carnivore
Famille : Canidé
Genre : Nyctereutes
Poids : de 6 à 10 kg
Longueur : 80 à 110 cm – Queue 15
à 25 cm.
Espèces exogènes invasives l’un comme l’autre, le raton laveur et le chien viverrin sont souvent confondus. Les deux espèces, il est vrai, sont d’allure semblable, ce qui favorise l’erreur d’identification. Les dénominations anglo-saxonnes, « racoon » pour le premier, « racoon dog » pour le second, l’illustrent à merveille. Pourtant, elles proviennent de contrées et de familles bien éloignées. Le premier, originaire d’Amérique du Nord, est arrivé en Europe en tant que mascotte des militaires américains de l’OTAN. Il y a fait souche en de nombreux lieux, notamment en France, où le foyer de colonisation initial est identifié dès les années 1960 en Picardie. Deux autres noyaux de population, plus récents, concernent le sud de la France, dont la Nouvelle-Aquitaine, depuis la fin des années 2000. Les individus, à l’origine de ces implantations, semblent s’être échappés de parcs zoologiques ou d’élevages d’agrément. En Lot-et-Garonne, les premiers ratons laveurs ont été observés en 2012. Bon nageur et bon grimpeur, le raton laveur est un peu moins agile sur terre. C’est un omnivore qui s’attaque aux petites proies animales, aussi bien sur terre que dans les arbres ou au bord des cours d’eau.
Le chien viverrin est un canidé originaire d’Asie de l’Est. Il doit son acclimatation en Europe à des lâchers en nature, pratiqués dans les pays de l’ancien bloc soviétique durant la première partie du XXe siècle. Depuis, le front de colonisation n’a de cesse de progresser vers l’Ouest. Le chien viverrin est présent dans le quart nord-est de la France, en front de colonisation. Des observations sporadiques concernent néanmoins l’ensemble du territoire français. À ce jour, le chien viverrin n’a pas été inventorié de façon sûre dans le Lot-et-Garonne. Le régime alimentaire du chien viverrin est essentiellement carné. Dans les régions froides ou lorsque le climat est rigoureux, les deux espèces entrent en hibernation ou, pour le moins, en léthargie.
Statut de conservation IUCN (France) : NAᵃ non applicable
(ᵃ) introduite