Le loup – une si longue cohabitation

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Loup (Canis Lupus)

Charlemagne, ce lot-et-garonnais

Il est communément admis que Charlemagne (règne de 768 à 814) a institué la Louveterie en l’an 812 par le « Capitulare De Villis vel curtis imperiis.« . Ce texte n’étant pas daté et ne précisant pas le lieu de sa signature, comme souvent à l’époque Carolingienne, Marc Bloch, grand historien français, situe ce moment entre l’an 770 et l’an 813. L’incertitude dont souffrirait l’acte fondateur ne se limite peut-être pas seulement à l’année. Il est envisagé que celui-ci n’ait pas été établi par Charlemagne mais par son fils, Louis le Pieux Roi d’Aquitaine. La date de 794 est aussi avancée. Dans ce cas, ce serait bien Charlemagne qui aurait institué la louveterie, avec la volonté de remettre en ordre l’administration des « villae, » ces propriétés royales dont les productions agricoles et la gestion sembleraient avoir été défectueuses.

Dans ces deux derniers cas, la portée du texte n’aurait d’ailleurs peut-être pas été le vaste Empire mais plutôt l’Aquitaine et, notamment, une des propriétés royales, sise à Casseneuil, en Lot-et-Garonne. Une fois n’est pas coutume, historiens et légende populaire se rejoignent pour situer le palais de « Cassinogilum, » dont serait tiré le nom actuel de la commune : « Casseneuil, » sur les berges du Lot et, plus précisément, au Pech Neyrat. Les ruines d’une villa et d’un palais gallo-romain fortifié auraient subsisté en ce lieu jusqu’au XVIIIe siècle, d’aucuns y voyant jusqu’à la capitale du royaume d’Aquitaine. Louis le Pieux, fils de Charlemagne, pourrait être né dans ce palais lot-et-garonnais en l’an 778. Il y aurait même résidé un hiver sur quatre, durant les 33 années de son règne. Une de ses sœurs, Hildegarde, est connue pour être très appréciée de son père Charlemagne, qui louait son adresse et son courage à servir le bison à l’épieu.

Il n’est certainement pas nécessaire d’ajouter aux controverses nourries des historiens et des érudits locaux qui ont pu revendiquer la localisation du célèbre « Cassinogilum. » Il n’était toutefois pas envisageable de passer sous silence les possibles attaches lot-et-garonnaises de ce texte fondateur ou, pour le moins, de ses auteurs, quand on sait combien la louveterie lot-et-garonnaise se singularise dans le paysage cynégétique national en ce qu’elle est parvenue à préserver jusqu’aujourd’hui et avec convictions, l’âme de la belle chasse au chien courant.

La louveterie

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À ses origines, la louveterie était en charge de l’organisation des opérations de lutte collective contre les loups. Les officiers de louveterie, les « luparii » – dénomination de l’époque, constituaient une meute et chassaient le loup avec leur équipage, ainsi que, en cas de besoin, les autres animaux dits « malfaisants » ou « nuisibles. » Ils pouvaient réquisitionner les habitants des villages et percevaient des primes pour l’exécution de leur office. En ces temps, les particuliers pouvaient également réclamer des primes lorsqu’ils tuaient des loups, qu’il s’agisse d’adultes ou de juvéniles. Au fil de leur longue histoire, les louvetiers furent régulièrement exemptés d’obligations militaires ou civiles et ont bénéficié de privilèges, notamment celui de pouvoir « tenir leurs chiens en haleine » en les faisant chasser, autant que de besoin, dans les forêts de l’État. La louveterie est supprimée à la veille de la Révolution, notamment en raison des privilèges et des rentes auxquels cette charge ouvrait droit. Les agents forestiers sont dès lors affectés à la mission. La nouvelle organisation se montre particulièrement inopérante et, en moins de dix ans, les ravages causés par les loups et autres animaux déprédateurs, s’avèrent très préjudiciables.

Le Directoire (1795-1799) revient sur cette décision et rétablit les primes aux particuliers pour la destruction des loups puis, quelques mois plus tard, complète ces dispositions concernant « les loups et les autres animaux voraces ». Il confie aux « Administrations départementales » le soin d’organiser ces opérations de destruction, en concertation avec « l’Administration des Eaux et Forêts. » Les battues sont alors confiées à des particuliers, qui disposent d’une meute et des moyens appropriés. En 1804, Napoléon Bonaparte (1804-1815) parachève le dispositif en rétablissant l’institution de la Louveterie par le décret du 8 fructidor an XII (26 août 1804). Outre avoir restauré et peaufiné une organisation pluriséculaire de régulation des animaux prédateurs et déprédateurs, les dispositions législatives et réglementaires instaurées par le Directoire, puis par Napoléon Bonaparte, constituent, encore aujourd’hui, à quelques spécificités et évolutions juridiques ou institutionnelles près, le socle sur lequel reposent les opérations administratives de régulation de la faune sauvage, dites de « destruction administrative. »

Le lieutenant de louveterie est aujourd’hui nommé par le Préfet du département. Depuis la disparition du loup, les missions qui lui sont confiées concourent à la régulation des animaux sauvages susceptibles d’occasionner des dégâts, particulièrement les renards, les blaireaux et les sangliers. Le lieutenant de louveterie est bénévole. Il est assermenté pour constater les infractions à la police de la chasse et conseiller technique de l’Administration en matière de gestion de la faune sauvage. En Lot-et-Garonne plus de 1 000 battues sont organisées par an, sur ordre du Préfet, essentiellement pour la régulation du renard en période de fermeture de la chasse, pour prévenir les dégâts aux élevages ou dans le cadre des plans de gestion du petit gibier. Le retour récent du loup dans plusieurs départements français y amène, de plus en plus régulièrement, les lieutenants de louveterie à intervenir dans le cadre d’actions de protection des élevages ovins ou bovins. Alors que l’espèce est strictement protégée, ils prélèvent chaque année plusieurs dizaines d’individus dans le cadre de cette mission.

Coexistence ou cohabitation

Jusqu’au début du XIXe siècle, le loup occupait l’ensemble du territoire métropolitain, du bord de mer à la montagne, dont les plaines et les coteaux agricoles du département, notamment. En Lot-et-Garonne, des noms de villages comme « Grateloup » ou « Lougratte » et des lieux-dits comme « Le loup, » « La combe du loup, » le « Saut du loup » ou encore des cours d’eau nommés « ruisseau du loup » attestent de cette histoire. D’autres trouvailles dans les vieilles fermes ne trompent pas. Les larges colliers en cuir renforcé, armés de clous, étaient autrefois destinés à protéger les chiens de chasse ou de garde de leur féroce cousin sauvage, déterminé à vendre cher son dernier souffle. Christian Lacosse, lieutenant de louveterie honoraire, se souvient de son étonnement lorsque, enfant, dans les années 1940, il observait ce vestige d’un temps disparu, suspendu à une porte d’étable de la ferme familiale, dans la commune de Seyches. Les pièges à loup, ces pièges à mâchoires et à dents de fort diamètre, que l’on trouve encore dans les greniers des vieilles fermes du département, témoignent eux aussi de cette lutte sans merci contre le prédateur.

Tout au long de l’histoire, la cohabitation entre l’Homme et les grands carnivores sauvages s’est révélée plutôt difficile, particulièrement dans le cas du loup, qui ne vit pas cantonné à la forêt ni à la montagne. La protection des ovins, caprins, volailles mais aussi des bovins, des équins et même des chiens de ferme, est une nécessité lorsque le loup est présent. Le loup n’est d’ailleurs pas un danger que pour les animaux de la ferme. Dans un travail d’enquête très précis, s’il montre que l’homme ne constitue qu’une cible occasionnelle du loup, l’historien J.-M. Moriceau recense entre 1362 et 1918 près de 8000 victimes humaines en tous points du territoire national. La rage, qui sévissait dans les campagnes comme en ville, est longtemps demeurée incurable. Par les morsures qu’il pouvait infliger aux chiens et aux humains, le loup jouait un rôle majeur dans sa transmission. Bien que chassé et piégé sans merci durant des millénaires, il faudra attendre les campagnes d’empoisonnement à la strychnine, au XIXe siècle, pour voir décliner les populations de façon très significative. En 1909, les loups n’occupaient plus qu’un peu moins de 4 % du territoire national et les derniers s’éteignent juste avant la seconde guerre mondiale, aux confins du Berry, du Limousin et du Poitou-Charentes.

Quand les loups erraient dans nos campagnes

Ainsi que le conte Alain Paraillous, le loup a fortement hanté l’imaginaire collectif, en particulier celui du monde rural. En des temps pas si lointains, la peur du « grand méchant loup » n’était pas un vain mot. Au cours du terrible hiver de 1830 – qui avait détruit la plupart des chênes-lièges de l’Albret – les loups affamés sortaient des bois pour gagner les villes, notamment Pau et Tarbes, terrifiant les habitants. Mémorable scène de littérature, dans « Sans famille, » célèbre roman populaire de la fin du XIXe siècle, Hector Malot fait d’une scène avec des loups l’un des temps forts du livre. Les saltimbanques Rémi et le vieux Vitalis, épuisés après une longue journée de marche dans le froid et la neige, doivent se résoudre à passer la nuit en forêt, sous un abri de fortune. Les loups hurlent autour d’eux. Le vieil homme et l’enfant ont allumé du feu pour les éloigner. Épuisé, Rémi s’endort et laisse le feu s’éteindre. À son réveil, il ne peut que constater le désastre. Dolce, l’un des deux chiens saltimbanques, a été dévoré. Joli-Cœur, le singe savant qui s’était réfugié au sommet d’un arbre, est transi de froid. Une pneumonie consécutive à cette nuit d’horreur l’emportera quelques jours plus tard.

Le loup a dû captiver l’imaginaire de Victor Hugo (1802-1885) car, dans sa pièce de théâtre Ruy Blas, le Roi d’Espagne, parti à la chasse, écrit à la reine : « Madame, il fait grand vent, et j’ai tué six loups. » Mais les loups ne sévissaient pas qu’au détour d’un roman ou d’une pièce de théâtre. Dans « Mémoires de ma vie, » Georges Sand (1804-1876) raconte à quel point les forêts de l’Albret en étaient infestées. Née Aurore Dupin, la future romancière épousa à 20 ans Casimir Dudevant, hobereau de Pompiey, commune située entre Barbaste et Durance, en Lot-et-Garonne. Le couple vécut quelques années dans la gentilhommière de Guillery, avant que la turbulente Aurore ne reprenne sa liberté et s’en aille mener à Paris, sous le pseudonyme de George Sand, la carrière littéraire que l’on sait. De son séjour en Albret, elle garde le souvenir d’un épisode glaçant, qui se déroule vers 1825. Son beau-père rentrait chez lui, un soir d’hiver, lorsqu’il aperçut une horde de loups derrière lui. Homme d’expérience, mûri par les ans, il garde son sang-froid, persuadé que tant qu’il resterait sur sa monture, les loups ne l’attaqueraient pas.

Le risque, c’était que le cheval découvre leur présence, s’emballe, et le désarçonne. Il parvient néanmoins à atteindre Guillery sans encombre. Durant toute la nuit, les loups ont fait le siège de la gentilhommière. Jusqu’à l’aube, toute la maisonnée les a entendus gratter et mordre la porte. Autre anecdote plus récente, aux alentours de 1900, probablement au cours de l’hiver 1899, sur la commune de Saint-Pierre-de-Buzet, le jeune Marcel Combabessouse, futur fondateur de la cave des Vignerons de Buzet rejoint l’école du village à pied, après un long parcours forestier. Sur son chemin, il se trouve nez à nez avec un loup. Glacé de peur, le jeune Marcel, alors âgé de 8 ans s’immobilise à quelques mètres de l’animal. Comment sortir de cette situation délicate ? Alors une idée lui vient. Très lentement, il ôte ses sabots, en prend un dans chaque main, puis se met à les frapper très fort l’un contre l’autre. Sans doute plus surpris qu’effrayé, le loup hésite un instant, puis tourne la tête et déguerpit.

La situation du loup en France et en Europe

Dès le début des années 1990, les loups de la chaîne des Apennins, en Italie, ont petit à petit recolonisé les Alpes françaises, du Sud vers le Nord puis, à partir des années 2000, successivement, les Pyrénées, le Massif central, le Massif des Vosges, celui du Jura et, désormais, la mosaïque de territoires agricoles et forestiers qui font du territoire national un habitat très accueillant pour l’espèce. Le plan national d’action loup établi par le Gouvernement français fixait l’objectif d’atteindre 500 loups à l’horizon 2023. En 2018, les recensements permettaient d’identifier 85 zones de présence permanente en France, avec 72 meutes. Dès 2020, les effectifs totaux de loups sauvages présents en France étaient estimés à 600 individus. Outre le suivi scientifique des populations, la gestion de ces espèces repose sur une indemnisation administrative des dégâts aux élevages financée par l’État. Chaque année, quelques 7 000 ovins et autres animaux sont tués à l’occasion de 2 500 attaques de loups.

Ponctuellement, sans sortir du cadre de stricte protection qui s’applique au loup, des opérations de régulation sont diligentées par les Préfets, dans le cadre de dispositions réglementaires définies par le Ministre de l’environnement. De temps à autre, des manifestations de masse rassemblent plusieurs milliers d’éleveurs, de chasseurs et d’élus locaux, bien au-delà des dégâts qu’ils subissent, dans la contestation d’une forme de « réensauvagement imposé » de leur « espace domestique. » Ailleurs en Europe, la situation que connaît le loup est très semblable à celle observée en France. En 2018, les effectifs minima des populations de l’Union européenne étaient estimés à 14 000 individus adultes, répartis en neuf populations distinctes et dont les aires de distribution se rejoignent ou sont en passe de se rejoindre pour certaines. À l’exception d’une population à petits effectifs dans la Sierra Morena, dans le Sud de l’Espagne, les autres populations européennes sont stables ou en progression. Cette situation, contrastée, donne lieu à des gestions qui le sont tout autant. Elle intègre largement la chasse dans certains pays, alors que ce n’est pas le cas en France.

En 2021, la présence ponctuelle du loup a été inventoriée en Dordogne, dans les Landes et, plus loin du Lot-et-Garonne, en Charente-Maritime. Assurément, le retour du loup dans le département n’est qu’une question de temps et, en toute vraisemblance, ce temps se compte en peu d’années. Les Français et, en premier lieu, ceux qui vivent, travaillent ou pratiquent des loisirs dans l’espace rural, n’auront d’autre alternative que, non seulement, d’apprendre à coexister à nouveau avec le loup et d’autres grands carnivores mais, également, de cohabiter avec eux. Il incombera alors à chacun, urbains et ruraux, décideurs politiques ou influenceurs d’opinion, scientifiques et gestionnaires, de réfléchir ensemble à des cadres administratifs et juridiques adaptés à une cohabitation moderne. La légalisation de la chasse du loup, encadrée et contrôlée, pratiquée dans le cadre d’une gestion conservatoire, pourrait représenter une main tendue aux tenants des usages traditionnels des campagnes et des forêts, dont les éleveurs. Cette question, qui impliquerait la modification de plusieurs textes législatifs et réglementaires, mérite certainement une réflexion.

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