Le cas particulier des retenues collinaires

1 lac de la ganne
Retenue collinaire en zone de vergers à Montaut avec station de pompage

Plans d’eau artificiels implantés dans les zones basses des coteaux du département, ils captent les eaux pluviales, principalement en hiver et, parfois, celles de sources ou de ruisseaux. Ce stockage d’eau pour l’irrigation agricole estivale, lorsque la pluviométrie est insuffisante, est déterminant dans le développement des cultures à forte valeur ajoutée comme l’arboriculture fruitière, le maraîchage ou les cultures semencières. Il est indispensable pour la culture sous serres. Ces retenues collinaires contribuent à faire du Lot-et-Garonne un des premiers départements de production au niveau national. Très nombreuses et formant un réseau dense, jusqu’à 2 par km2. Elles sont devenues une composante du paysage. Le département, avec celui des Landes, concentre les deux tiers des surfaces irrigables de la région Nouvelle-Aquitaine. En Lot-et-Garonne, 72 % des parcelles cultivées en maïs ou en vergers sont irriguées. Au dernier recensement, en 2014, le Lot-et-Garonne comptait : 100 retenues collectives dont 25 permettent la réalimentation de cours d’eau ; 3 500 retenues individuelles et 53 Associations Syndicales Autorisées (ASA) dont 11 assurent également du soutien d’étiage de cours d’eau.

Des retenues collinaires controversées

Il est largement admis et partagé que les zones humides, dans leur ensemble, constituent des milieux qui contribuent de façon significative au maintien ou à l’amélioration de la richesse de la biodiversité et, ceci, souvent plus que bien d’autres habitats naturels et semi-naturels. Alors qu’ils sont peu étudiés à ce jour, ces lacs collinaires sont pourtant considérés, tout du moins en France, comme présentant un apport à la biodiversité plutôt faible alors qu’en parallèle ils induiraient des effets négatifs, notamment celui de capter les eaux de ruissellement ou de sources qui devraient alimenter les ruisseaux. Il est également couramment signalé qu’ils tendraient à provoquer une augmentation de la température et de la quantité de matières en suspension dans les cours d’eau situés en aval, ainsi que leur eutrophisation et une diminution de la teneur en oxygène de l’eau. L’idée selon laquelle le modèle d’une agriculture dépendante de l’irrigation doit être dépassé s’ajoute au manque d’intérêt que suscite ces retenues collinaires.

Controversées mais…

Leur fonction économique première n’est pas dénuée d’intérêt écologique. Sans agriculture, nous avons pu le voir par ailleurs, point de salut pour bon nombre d’espèces sauvages qui sont inféodées aux habitats ouverts et cultivés. En permettant aux exploitations agricoles du département de tendre vers l’auto-suffisance en matière d’approvisionnement en fourrages et en céréales, ces retenues collinaires évitent le recours à un acheminement depuis des lieux de production éloignés. En ce sens, elles sont garantes d’une agriculture durable sur le plan environnemental. Sur ce dernier point, pour lequel le bilan carbone peut s’avérer très négatif, les régions de causse ou celles du sud-ouest de l’Europe offrent des exemples saisissants de ce qu’une disponibilité en eau suffisante permet d’économiser en termes de transports routiers de longue distance.

L’intérêt de ces retenues pour assurer un soutien de débit d’étiage des ruisseaux du département, confrontés à des phénomènes de plus en plus récurrents et prononcés d’assèchement estival, appelle néanmoins une réflexion pragmatique. Les conditions météorologiques à l’origine de ce phénomène semblant enclines à s’accentuer encore dans les années à venir, des assecs temporaires de plus en plus fréquents sont à craindre. Ces derniers sont particulièrement négatifs pour la biodiversité des cours d’eau. Contrairement aux départements côtiers ou à ceux où marais et lacs naturels abondent, le Lot-et-Garonne compte peu de zones humides, hormis le réseau de ruisseaux et rivières.

Une étude qui invite à creuser encore…

En 2020, la FDC a conduit une étude dans le cadre d’un stage de fin d’études de Master en écologie à l’Université Paul Sabatier à Toulouse. Les investigations ont été menées sur le territoire du GIASC du Villeréalais, où 25 plans d’eau ont été étudiés en période estivale, de la mare de moins de 200 m2 à la retenue d’une superficie de 50 ha. L’apport à la biodiversité a été évalué sur la base d’indicateurs. Ont été inventoriés : les odonates, à savoir les libellules, présentes toute l’année aux différents stades de leur cycle, ainsi que les macro-invertébrés, petits animaux dépourvus de squelette, d’une taille supérieure au 1⁄2 millimètre. La durée de vie de ces derniers pouvant atteindre jusqu’à cinq ans, dont un stade larvaire qui s’étale parfois sur plusieurs années, ils reflètent les effets cumulatifs des perturbations physiques, biologiques et chimiques des milieux aquatiques et constituent de parfaits témoins pour évaluer la qualité des habitats aquatiques et de ces écosystèmes dans leur ensemble. Les odonates sont à la fois des prédateurs et des proies. Ils exercent les deux rôles au sein d’une fragile chaîne alimentaire qui comprend les plus petits insectes, y compris aquatiques, grenouilles, lézards, chauves-souris, jusqu’aux oiseaux tels que le guêpier d’Europe (Merops apiaster), le faucon hobereau (Falco subbuteo) ou la bergeronnette grise (Motacilla alba).

Une quarantaine d’espèces différentes ont été identifiées, dont douze qui n’avaient jamais été inventoriées jusqu’ici sur ce territoire. Deux odonates : Erythromma najas et Gomphus graslinii, espèces à enjeux de conservation forts, ont été observées sur le site lors de ce travail. La présence de trithemis annulata a également été confirmée. Cet odonate, originaire d’Afrique tropicale, étend son aire de répartition à la faveur du réchauffement climatique. Arrivé en Europe en colonisant d’abord l’Espagne, il est connu dans le sud de l’Aquitaine depuis les années 2000. Autres indicateurs de la richesse des plans d’eau, les proies potentielles des odonates ont été déterminées, soit une cinquantaine de familles différentes de crustacés d’eau douce, mollusques, vers, coléoptères et autres larves d’insectes. L’étude apporte un éclairage nouveau et montre que ces retenues collinaires sont riches d’une biodiversité souvent largement plus conséquente que celle qui est observable dans les mares, pourtant considérées comme étant des milieux semi-naturels à haut intérêt écologique.

Dans un département peu pourvu en zones humides lentiques, le réseau de retenues collinaires constitue aussi un atout pour la biodiversité aquatique et le maillage qu’elles assurent leur donne un intérêt tout particulier au sein de la trame bleue. Ces milieux accueillent une entomofaune
riche, parmi lesquelles des espèces rares, odonates, amphibiens et reptiles protégés, sans oublier une avifaune diversifiée et essentiellement protégée, dont des espèces patrimoniales.

Améliorer l’intérêt de ces retenues pour la biodiversité

La sinuosité des berges, en allongeant le linéaire de lisière entre terre et eau, favorise la biodiversité. Les rives à pente douce sont propices à l’installation d’une succession de végétation hélophyte, sagittaires, iris, scirpes, roseaux, typhas et carex, favorisant la diversité du milieu et augmentant les capacités d’accueil pour la faune, à la fois pour se nourrir, pour se protéger des prédateurs comme pour la reproduction. Des profondeurs d’eau variables – entre quelques centimètres et plusieurs mètres – permettent aux limicoles, aux canards de surface, aux canards plongeurs, aux ardéidés et autres oiseaux aquatiques de trouver, chacun, des conditions adaptées à ses exigences pour la recherche de nourriture. La présence de prairies, de vergers, de cultures céréalières et de haies à proximité de l’étang augmente les capacités trophiques du site pour les oiseaux.

La création d’un bassin de décantation, comme cela a pu être expérimenté en 2007 sur le territoire du GIASC du villeréalais, renforce cet effet et les îles végétalisées mettent les nichées à l’abri des mammifères carnivores. L’installation de radeaux « de ponte » permet aussi de créer des zones de nidification protégées de prédateurs terrestres. Afin de satisfaire aux exigences d’un panel d’espèces le plus large possible, certains de ces radeaux sont végétalisés pour les anatidés, tandis que d’autres, recouverts de seuls sables et graviers accueilleront sternes et petits limicoles. Dès la fin des années 1990, la FDC a initié un programme visant à faire de ces retenues collinaires un atout pour l’avifaune aquatique.

Pour le canard colvert (Anas platyrhynchos), un plan de gestion cynégétique limite le nombre de jours de chasse en période estivale et fixe un quota de prélèvement. Des réserves ont été créées, comme la Réserve de chasse et de faune sauvage de l’Association communale de chasse de Parranquet au sein du GIASC du villeréalais. Elles protègent les effectifs reproducteurs et offrent des zones refuge en journée, particulièrement lors des périodes de gel prolongé, tout en améliorant l’intérêt cynégétique dont dépend la motivation du monde de la chasse pour réaliser ces aménagements favorables à la biodiversité dans son ensemble. Le suivi par comptage des effectifs reproducteurs et hivernants permet d’estimer les effectifs entre 4000 et 8000 colverts pour le département, selon les années.

Des libellules communes et des plus rares : Il y a deux grandes familles de libellules en France : les anisoptères, aux ailes étalées de chaque côté du corps et les zigoptères, aux ailes jointes dans le prolongement du corps. Les gomphes et les caloptérix, plus connus sous le nom de « demoiselle » sont largement représentés dans le département.

À qui profitent ces habitats ?

À sa création, une retenue collinaire constitue un biotope simplifié, inévitablement moins riche que les zones humides naturelles. La terminologie « naturelle » est néanmoins à relativiser dans les coteaux du département de Lot-et-Garonne, où la totalité des milieux sont anthropisés. Mais les plans d’eau artificiels évoluent peu à peu vers des biotopes rares à absents dans le département depuis au moins le XIXe siècle. Jusqu’à 112 espèces végétales et 800 à 1 000 espèces appartenant à l’entomofaune ont été recensées sur les différents milieux lentiques du département. Ces habitats sont aussi d’un intérêt non négligeable pour l’herpétofaune, dont la cistude d’Europe (Emys orbicularis), ou des couleuvres autrefois communes comme la couleuvre vipérine (Natrix maura) et la couleuvre helvétique (Natrix natrix), sans oublier deux mustélidés, eux aussi protégés, objet de plans nationaux d’action, la loutre d’Europe (Lutra lutra) et le vison d’Europe (Mustela lutreola).
L’intérêt pour l’avifaune et, particulièrement l’avifaune aquatique, tant en stationnement migratoire qu’en hivernage ou en reproduction concerne potentiellement 221 espèces d’oiseaux, la plupart bénéficiant d’un statut de protection et d’un classement au titre de la réglementation communautaire, dont l’aigrette garzette (Egretta garzetta) et la grande aigrette (Egretta alba), le balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus), le blongios nain (Ixobrychus minutus), le butor étoilé (Botaurus stelaris), le crabier chevelu (Ardeola ralloides), le harle piette (Mergus albellus), le héron pourpré (Ardea purpurea), le martin pêcheur (Alcedo atthis), la sterne pierregarin (Sterna hirundo) et même la cigogne blanche (Ciconia ciconia) voire la cigogne noire (Ciconia nigra) en migration. Citons également parmi les oiseaux nicheurs, la foulque macroule (Fulicula atra), le grèbe castagneux (Podiceps ruficollis), le grèbe huppé (Podiceps cristatus), le héron cendré (Ardea cinerea), le cisticole des joncs (Cisticola jundicis), la bouscarle de cetti (Cettia cetti) ou encore bien des espèces d’anatidés, de limicoles et de rapaces.

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