La restauration réussie d’un patrimoine faunistique
Entre la fin de l’Ancien Régime et le milieu du XXe siècle, les populations de cerf, de chevreuil et de sanglier ont considérablement régressé en France, en nombre comme en termes de distribution. Les cervidés ne subsistaient alors guère que dans les grandes forêts du Bassin parisien et de l’Est. À la fin des années 1960, les pouvoirs publics et le monde de la chasse décident d’initier un vaste programme de restauration de ce patrimoine faunistique et cynégétique. La création de réserves nationales de chasse permettra de développer des populations de cerfs et de chevreuils qui seront repris pour être introduits dans la plupart des régions françaises, jusque dans les années 2000.
Dans les années 1970, le législateur instaure deux mesures phares. La possibilité de détruire le grand gibier par affût dans les champs est interdite. Elle est compensée par une indemnisation administrative des dégâts causés par ce gibier à l’agriculture. Dans un même temps, le plan de chasse est instauré. Pour chaque territoire de chasse, le Préfet fixe un prélèvement minimal obligatoire et un prélèvement maximal à ne pas dépasser, en fonction des effectifs de la population. Ces politiques publiques se sont révélées un succès. À partir de populations à faibles effectifs ou relictuelles, des populations viables ont été restaurées sur tout le territoire national.
Grâce aux lâchers à vocation cynégétique et aux mesures de gestion qui les ont accompagnés, les cervidés ont reconquis les campagnes et les forêts françaises. Le cerf est désormais présent dans 91 % des départements. En Lot-et-Garonne, il occupe 78 % des massifs forestiers. 360 individus sont prélevés chaque année pour une population dont les effectifs sont de l’ordre de 1 500 avant naissances, répartis en 2 noyaux de population, dans les massifs forestiers Périgord et Grandes Landes. En 1980, le chevreuil n’était présent que dans quelques communes de Lot-et-Garonne. Aujourd’hui, il est abondant partout. Un peu plus de 9 000 individus sont prélevés à la chasse chaque année dans le département.
Les années 1970 marquent le début de l’expansion des populations de sangliers aussi bien en France qu’en Europe, mais c’est à compter du milieu des années 1990 que l’augmentation des effectifs prend une allure exponentielle. Au cours des quarante dernières années, les prélèvements des chasseurs français ont été multipliés par 16. En Lot-et-Garonne, le prélèvement annuel dépasse chaque année 5 500 individus alors qu’il était à peine de quelques centaines d’individus au début des années 1980. Les incidences de la forte abondance de ces gibiers rendent nécessaire une action de régulation intensifiée pour assurer la maîtrise des effectifs.
L’indemnisation administrative des dégâts de grand gibier
Les dégâts de grand gibier portant sur les cultures agricoles font l’objet d’une indemnisation administrative assurée par la FDC. Lorsqu’il constate des dégâts, l’agriculteur dépose un formulaire de demande. La procédure réglementaire d’instruction prévoit que chaque dégât fasse l’objet d’une expertise de terrain, confiée à un estimateur formé et agréé. Le fonds d’indemnisation est abondé uniquement par les cotisations acquittées par les chasseurs. En Lot-et-Garonne, le budget annuel atteint 450 000 €. En France, les montants engagés dépassent chaque année les 50 millions d’euros.
Dans les coteaux, le chevreuil est à l’origine de dégâts conséquents, qui portent souvent sur des productions agricoles à forte valeur ajoutée, particulièrement les vergers, les pépinières et le maraîchage. Les montants consacrés à l’indemnisation de ces dégâts représentent 30 % en moyenne du montant total des indemnités versées aux agriculteurs, tandis que les dégâts de cerfs dépassent rarement les 5 à 10 %. Le sanglier et les dégâts qu’il occasionne dans les champs de céréales ou, dans une moindre proportion, dans les prairies, sont responsables de la plus grande part des montants versés aux agriculteurs.
Les dégâts sylvicoles et, plus généralement, à la forêt, n’entrent pas dans le champ de cette indemnisation administrative. Ils font néanmoins l’objet d’une surveillance dans le cadre d’observatoires communs aux sylviculteurs, à la FDC et à l’État. Les agents de la FDC, du Centre régional de la propriété forestière privée et de l’Office national des forêts procèdent à des vérifications de terrain pour mieux mesurer cet impact. Au-delà de l’évaluation de ces dégâts, les suivis et indicateurs mis en œuvre contribuent à appréhender l’abondance des populations de grand gibier. Ils font l’objet d’un tableau de bord de monitoring.
L’équilibre agro-sylvo-cynégétique
Les populations de grand gibier ont connu un fort développement au cours des quarante dernières années, avec des conséquences non-négligeables en termes de dégâts à l’agriculture et à la forêt ; de sécurité routière ; de déprédations en zone urbaine ou encore d’impact sur les habitats protégés. Les politiques publiques de gestion cynégétique visent à atteindre un équilibre « agro-sylvo-cynégétique. » Il s’agit de maintenir les effectifs des populations de grand gibier à un niveau compatible, d’une part, avec la préservation de l’agriculture comme de la sylviculture et, d’autre part, avec les exigences biologiques de chaque espèce, de façon à garantir leur bon statut de conservation. Elles s’inscrivent dans un contexte de diminution et de vieillissement concomitants des effectifs de chasseurs.
En Lot-et-Garonne, la préservation des productions agricoles et sylvicoles est instituée en priorité d’intérêt général par la FDC. Les plans de chasse pour les cervidés comme le plan de gestion pour le sanglier définissent des niveaux d’abondance des populations et d’impact sur les activités humaines. Ils sont définis de façon partagée avec les représentants des agriculteurs, des sylviculteurs et des associations de conservation de la nature. Chaque sous-unité de gestion fait l’objet d’un classement dont découlent les mesures de gestion, réglementaires et contraignantes, qui s’appliquent à tous les territoires de chasse. Lorsque la régulation n’est pas suffisante, sont imposées de fortes augmentations des obligations de prélèvements ou des opérations de régulation dirigées par des lieutenants de louveterie, ainsi que des contributions financières dissuasives.
S’appuyer sur les pratiques et la passion des chasseurs pour une régulation efficace
En Lot-et-Garonne, l’organisation cynégétique, les pratiques de chasse et la politique de gestion conduite par la FDC ont permis de contenir le phénomène quasi exponentiel d’augmentation des populations de grand gibier constaté partout en France et en Europe. La mise en œuvre d’une gestion cynégétique efficace suppose de bien comprendre que la chasse est une activité de loisir, qui s’inscrit dans une culture cynégétique régionale, avec un rapport au gibier et à la nature aux portées symboliques et passionnelles inscrites dans l’histoire du territoire. C’est précisément en s’appuyant sur les effets bénéfiques des pratiques de chasse locales, expression d’une culture cynégétique non moins locale, qu’il est possible d’en tirer les meilleurs effets bénéfiques.
La chasse aux chiens courants, pratiquée par les sociétés de chasse communales sur de vastes territoires, avec la mise en place « d’accords de suite » qui permettent aux équipes de poursuivre la chasse du gibier sur les territoires voisins, se révèle particulièrement efficace et adaptée au contexte lot-et-garonnais.
La réalité de l’agrainage
L’agrainage consiste à distribuer de la nourriture à destination des sangliers pour les dissuader de causer des dégâts dans les parcelles agricoles au moment où les cultures sont les plus sensibles, particulièrement lors des semis de céréales au printemps. Il est réalisé à l’aide de céréales en grains, presque exclusivement du maïs, parfois en association avec des pois. Les quantités mises à disposition sont de l’ordre d’1 kg de grain par sanglier adulte et par jour, durant une courte période. Un épandage en traînée est préféré à une distribution en tas, afin d’éviter la concurrence inter-individuelle mais aussi et surtout, entre compagnies.
Il s’agit aussi d’occuper les sangliers aussi longtemps que possible, en les obligeant à rechercher leur nourriture, pour qu’ils n’aient pas la mauvaise idée de tenter quelques incursions dans les semis. L’influence de l’agrainage sur la dynamique des populations de sangliers est parfois questionnée. La distribution d’un agrainage à base de céréales, s’il était très abondant, bien que cela ne soit pas autorisé, pourrait constituer un apport de nourriture non négligeable. Néanmoins, il n’interviendrait souvent qu’en lieu et place des « ponctions » que les sangliers auraient effectuées eux-mêmes dans les champs de céréales environnants, pour le malheur des agriculteurs qui les cultivent.