Et l’alouette

singing skylark at grass perch at the meadow

Pantes et pantayres

Dès la volée d’alouettes repérée, loin au-dessus des champs, le « pantayre » se dissimule dans sa cabane. Il commande ses appelants, les « semets » ou « semecs, » selon les variations locales du patois gascon. Un système de ficelles, plus simple que celui des palombières, permet de mettre en mouvement les « semétedayres. » Le grand « semétedayre » mesure entre 60 et 70 cm de long. Cette baguette fait voler l’appelant haut, pour capter l’attention des alouettes. Lorsqu’elles sont en approche, vient le tour du petit « semétedayre », d’une quarantaine de centimètres de longueur seulement. Imitant savamment le chant de l’alouette, le pantayre « chioule » avec ce sifflet particulier, le « chioulet. » À ce moment crucial et, souvent infructueux, il s’agit d’intéresser suffisamment la volée d’alouettes pour la détourner de sa destination.

Tentant de déjouer leur méfiance, le pantayre fait appel à de savantes techniques, transmises de génération en génération. La mise en scène du lieu est enjôleuse. Au détour des chaumes, un petit carré d’herbe ou de blé est ensemencé. La tension est à son comble, tous les sens sont en alerte. Invitée à poser, l’alouette virevolte mais se fait désirer. S’il parvient à en amener quelqu’une sous le filet, le pantayre actionne la « tirasse » pour fermer ses pantes. Les deux panneaux de filets, qui se chevauchent partiellement, peuvent couvrir 50 m2 au plus. En émoi, le pantayre voit se rabattre les filets sur les alouettes, espérant qu’elles ne donneront pas ce vif coup d’aile qui les soustrairait à leur destin.

Matoles et tendeurs

Petits pièges-cages très légers, faits de bois ou de grillage fin, les matoles sont disposées au sol dans les champs de céréales à paille. Les savoirs et savoir-faire sont très proches de ceux qui sont mis en œuvre par les « pantayres ». Les techniques de chasse font appel à la connaissance la plus fine de l’écologie de l’oiseau, de sa migration et, plus largement, de son éthologie mais aussi de l’influence des vents et de la météorologie. L’alouette prospecte le semis, sautillant, voletant à la recherche des grains perdus. Quelques graines habilement dispersées attirent la voyageuse sous le dispositif. Un système très rudimentaire, de type quatre-de-chiffre, déclenche la fermeture de la matole lorsque l’alouette se pose dessus. La voilà captive, ni blessée ni maintenue par une quelconque partie du corps, mais retenue prisonnière de la matole. Le tendeur passe alors relever ses pièges. Ses yeux brillent, l’oiseau est pris.

Alouette sauvage – Appelant complice et intercesseur

Les chasses aux pantes et aux matoles font appel à des subterfuges techniques attestés en Gascogne dès le XVe siècle ou, peut-être même, le XIIIe siècle. Dans les deux cas, il s’agit de capturer l’alouette des champs vivante, avec le concours d’appelants. En invitant leurs congénères sauvages à venir se poser sur les « sols », les appelants occupent une position centrale dans les ruses déployées par le chasseur. Dissimulé dans sa cabane, le pantayre « joue » les alouettes. Ces moments intenses et magiques placent le chasseur – ou le replacent, selon la permanence des liens que l’on envisage – en immersion dans la nature. Le rapport singulier à l’alouette et, à travers elle, au sauvage, interviennent par l’entremise de l’appelant. Au-delà des représentations symboliques, si la migration est attendue avec autant d’impatience, c’est pour les moments d’évasion qui s’annoncent, libérés du temps social, pour vivre celui de la nature. Immuablement, l’automne appelle le pantayre à rejoindre la cabane. Pour ne pas éveiller l’attention de l’oiseau sauvage, celle-ci est habillée d’une végétation qui la confond au décor champêtre. Démontable ou fixe, elle est parfois semi-enterrée, en accord avec l’agriculteur qui, chaque année, met à disposition un bout de son champ, le plus propice. L’espace de convivialité est plus réduit et l’installation moins élaborée que la palombière. Pour autant, les moments de socialisation et d’échanges qui s’y déroulent expliquent, au moins en partie, l’attachement témoigné à ces chasses par leurs pratiquants.

Les autres chasses de l’alouette

L’alouette se chasse aussi au fusil, devant soi, dans les champs, avec ou sans chien. La technique porte le nom de « chasse au cul levé. » L’alouette est tirée à l’envol. Il est d’ailleurs tout à fait possible d’améliorer ses chances de réussite en se dissimulant derrière un petit abri de fortune pour les « chiouler » et même de mettre à contribution un appelant. Cette chasse était d’ailleurs autrefois pratiquée dans les coteaux céréaliers du département, avec l’aide d’un miroir. Cet instrument, qui améliore le succès de la chasse, est interdit depuis la fin des années 1980, précisément pour cette raison. Expression passée dans le langage courant pour désigner un espoir illusoire, le miroir aux alouettes a donc vraiment existé. Il était constitué d’une pièce de bois verticale, dont une grosse moitié se vissait dans le sol pour supporter la partie aérienne qui contenait une bobine pivotante actionnée par une cordelette. Cette bobine était reliée par un axe à une autre pièce de bois, horizontale celle-là, incrustée de minuscules miroirs ronds. En tirant sur la cordelette, cette partie se mettait à tourner comme une hélice. Au moindre rayon de soleil, les miroirs scintillaient de mille feux, semblables à une myriade d’alouettes se posant. Leurrées, les migratrices se précipitaient pour les rejoindre, croyaient-elles…

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