En croisant les informations issues des découvertes archéologiques avec ce que nous connaissons du climat aux différentes périodes préhistoriques et de l’éthologie actuelle des espèces animales concernées, le préhistorien tente de définir quelle faune sauvage côtoyait les chasseurs-cueilleurs, avec quelle abondance et en quels lieux du département. La présence et l’abondance des uns ou des autres dans les vestiges archéologiques renseignent sur le couvert végétal et sur l’environnement. Néanmoins, même si les informations données par les restes osseux retrouvés sur les sites archéologiques sont très utiles, elles ne permettent pas toujours de savoir si l’animal a été charogné, s’il a été tué dans l’environnement immédiat du site ou s’il a été amené depuis un lieu d’acquisition plus lointain. Les connaissances sur la distribution de la faune sauvage et ses déplacements reposent aussi sur la fouille des pièges naturels, principalement les avens.
Au gré de ces changements, qui peuvent s’étaler très progressivement, sur plusieurs millénaires ou, à l’inverse, intervenir très rapidement, en un ou deux siècles, les espèces les moins adaptées régressent ou migrent vers des contrées plus accueillantes, laissant la place à d’autres, pour lesquelles les habitats et le climat satisfont les exigences écologiques. Selon le climat et le type d’habitat, l’abondance du gibier varie fortement, dans des proportions de 1 pour la toundra, à 15 pour la steppe tempérée. Les grands herbivores, principale ressource carnée des chasseurs-cueilleurs, se répartissent en trois grands groupes. Renne, chamois et bouquetin sont des animaux de milieu ouvert arctique. Aurochs, bisons et chevaux préfèrent un milieu ouvert non arctique. Cerf, chevreuil, et sanglier habitent le milieu boisé. En quelques siècles, les prédateurs, humains ou animaux, doivent, eux aussi s’adapter, soit à la raréfaction ou au déplacement de leurs proies habituelles soit à l’installation ou au développement d’autres espèces.
Grands herbivores éteints ou disparus de nos contrées
Dans la famille des éléphants : le mammouth (Mammuthus sp.) et l’éléphant antique (Palaeoloxodon antiquus)
Ce vaste ensemble regroupe des pachydermes qui ont pu se côtoyer et d’autres qui n’étaient pas contemporains ou correspondent à des stades évolutifs successifs. Ils ont tous en commun : de fréquenter les grands espaces pour y trouver la grande quantité de nourriture journalière qui leur
est nécessaire, de ne pas apprécier les reliefs trop marqués ; de vivre en troupeau à des périodes plus ou moins froides et d’avoir aujourd’hui totalement disparu. Nous n’avons pas retenu ici l’éléphant méridional qui a vécu dans des périodes chaudes anciennes, avant l’arrivée de l’Homme, entre moins 5,2 et moins 1 million d’années. L’éléphant antique fréquentait la forêt, le mammouth la steppe. Ils étaient présents dans l’ouest du département et dans les grandes vallées jusque sur les reliefs adoucis des molasses au nord de la rivière Lot. Dans la plupart des cas, les restes osseux et dents isolées de ces pachydermes préhistoriques découverts en Lot-et-Garonne ont été mis au jour au XIXe et au XXe siècles, par les ouvriers travaillant dans les gravières. Quelques vestiges ont également été retrouvés dans un repaire de hyènes sur le site archéologique de La Pronquière, dans la commune de Saint-Georges et en contexte d’habitat humain, sur le site du Moulin du Milieu, dans la commune de Gavaudun.
Le rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis)
C’était une espèce de grande taille et de climat froid, caractérisée par une épaisse toison laineuse. Les découvertes faites dans les Carpates en 1929, à Starunia, puis, plus récemment, à l’occasion du dégel partiel du permafrost, en Sibérie, permettent de connaître la couleur de cet abondant pelage qui protégeait l’animal du froid intense des climats glaciaires. Uniformément brun, il arborait une bande noire le long du dos. Sur son museau, deux cornes exceptionnellement longues, surtout la première qui pouvait atteindre un mètre, constituaient un instrument de défense contre les carnivores ou pour affronter les mâles concurrents à l’époque du rut. Elle lui servait aussi à écarter la neige, lui permettant ainsi d’accéder à l’herbe, sa nourriture principale, en toute saison, sans avoir à migrer. Inféodé aux steppes, il a connu son apogée il y a 30 000 ans. Deux sites archéologiques attestent de sa présence en Lot-et-Garonne : celui de la Pronquière, à Saint-Georges et celui de la tuilerie Maufaugerat, à la Tour-Burlade, à Monbahus.
Le thar (Hemitragus jemlahicus) et le bouquetin (Capra ibex)
Lors des phases les plus froides, le développement des glaciers sur les reliefs des Alpes, du Massif-central et des Pyrénées, a contraint ces deux caprinés rupicoles à descendre dans des zones de basse altitude. Ils se sont alors accommodés des reliefs accidentés des vallées encaissées du Haut-Agenais (Lède et Lémance). Ces deux espèces, de morphologie proche, se sont succédé sur ce territoire. Le thar est attesté vers 500 000 ans dans le site archéologique de Camp-de-Peyre, à Sauveterre-la-Lémance. Plus tard, c’est le bouquetin qui est présent. Il est notamment attesté sur le site archéologique de l’abri Peyrony à Gavaudun, vers 35 000 ans avant nos jours. À la fin de la dernière glaciation, les bouquetins ont rejoint les chaînes de montagnes les plus proches. Aujourd’hui, le bouquetin des Alpes est présent dans les montagnes de l’arc alpin (Capra ibex), le bouquetin ibérique (Capra pyrenaica) en de nombreux lieux de la péninsule. Plusieurs espèces de chèvres sauvages appartenant au genre Capra vivent en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. L’aire de répartition du thar, très limitée, est circonscrite à la région de l’Himalaya, en Asie.
L’antilope saïga (Saïga tatarica)
C’est une des rares espèces d’antilopes eurasiatiques. Elle vit dans les milieux ouverts (non boisés). Aujourd’hui on ne le trouve plus guère que dans les steppes sèches et les déserts semi-arides de l’Asie centrale, où elle est menacée de disparition. L’antilope saïga possède un museau long et très arqué, descendant sur la bouche et donnant l’aspect d’une courte trompe, cet appendice la rendant très reconnaissable. Il joue le rôle de filtre à sable lorsque l’animal vit dans ces milieux steppiques parcourus par les vents dont nous avons traité dans le chapitre précédent. Il protège aussi les voies respiratoires de l’air très froid. Des restes de cette espèce ont été découverts sur le site archéologique de La Roche à Castelmoron-sur-Lot. L’espèce était présente également en Gironde et en Périgord lors des phases climatiques froides et sèches. Aujourd’hui, on ne la rencontre plus que dans les steppes sèches et les déserts semi-arides d’Asie centrale (Mongolie, Kazakhstan, Russie).
Le renne (Rangifer tarandus)
Le renne est un cervidé robuste qui, à l’âge adulte, peut peser jusqu’à 180 kg pour le mâle et 100 kg pour la femelle. C’est l’animal emblématique des périodes froides et un des gibiers favoris tout au long du Paléolithique. Adapté aux environnements extrêmes, froids et enneigés, aux sols acides et pauvres en termes de productivité biologique, il se nourrit d’herbes, de buissons, d’écorces et surtout de lichens, qui présentent l’avantage d’être une nourriture riche. La fermentation digestive du lichen dégage de la chaleur, avec un effet bénéfique pour maintenir la température corporelle du renne qui affronte des températures très basses. Il possède des sabots larges, adaptés à la marche dans la neige, à la boue des sols en dégel, à la nage mais aussi au « pelletage » de la neige pour rechercher sa nourriture. Il est habitué à effectuer de longues migrations, n’hésitant pas à traverser fleuves et bras de mer. Autre adaptation à l’environnement, les poils du renne sont creux, ce qui améliore leurs facultés d’isolation. Cela l’aide aussi à nager. À Sauveterre-la-Lémance, le site archéologique de Camp-de-Peyre a livré des restes de rennes vieux de 500 000 ans. Avec ceux de Tautavel (Pyrénées-Orientales), ce sont les plus vieux vestiges de la présence de l’espèce en France. Aujourd’hui, les rennes sont présents dans les régions arctiques et subarctiques d’Europe et d’Amérique du Nord.
Le bison d’Europe (Bison bonasus)
Le bison d’Europe est un animal nocturne et crépusculaire, qui se nourrit principalement à l’aube et à la tombée du jour. La journée, il cherche à se rafraîchir et passe la plupart de son temps à l’ombre, sous les arbres ou dans la boue, dans laquelle il se plonge pour se protéger des parasites. Il n’appartient pas à la même espèce que le bison américain (Bison bison). C’est un animal social, qui vit en groupes comptant jusqu’à une trentaine d’individus pour les troupeaux de femelles suitées ; deux à quatre pour les mâles adultes. Mâles et femelles se côtoient essentiellement en période de reproduction, où d’impressionnants combats opposent les mâles adultes. Bien que généralement calme, le bison peut charger en réaction au moindre danger. Comme l’aurochs, il a été chassé abondamment par les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire. Il est inventorié dans plusieurs sites du Lot-et-Garonne, notamment sur celui de Sous-les-Vignes à Monsempron- Libos. Les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur l’ont peint et gravé sur les parois de nombreuses grottes du Périgord ou du Quercy. L’espèce a frôlé l’extinction à l’orée du vingtième siècle puis il a été réintroduit en nature à partir d’individus détenus dans des parcs animaliers. Il est présent aujourd’hui dans plusieurs forêts d’Europe centrale et d’Europe de l’Est.
L’aurochs (Bos primigenius)
Apparu en Inde il y a environ deux millions d’années, puis gagnant le Moyen-Orient et le reste de l’Asie pour s’installer en Europe entre 780 000 et 250 000 ans avant nos jours, cette espèce, aujourd’hui éteinte, est l’ancêtre des races bovines domestiques. En Quercy, l’aurochs a été chassé par les Néandertaliens du site de La Borde, à Livernon (46). Les restes osseux ont été identifiés dans bon nombre de sites lot-et-garonnais durant tout le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur. Régulièrement représenté par les artistes du Paléolithique supérieur, peint à la grotte de Lascaux (24), gravé sur les parois de la grotte de Pestillac, à Montcabrier (46), tout près du Lot-et-Garonne ou figuré dans l’art mobilier épipaléolithique de la Borie del Rey à Blanquefort-sur-Briolance.
Les populations d’aurochs, comme celles de bisons et de chevaux européens, ont atteint leur développement maximum durant les phases climatiques qui ont précédé les maximums glaciaires. L’aurochs a été chassé durant toute la préhistoire, Sa domestication a lieu au Proche-Orient et ce sont ces bovins domestiques, amenés en Europe, qui seront élevés par les premiers paysans du Néolithique. Des croisements de ce bétail avec les aurochs sauvages semblent réguliers. Dès lors, les populations d’aurochs sauvage paraissent décliner. La fermeture des milieux provoquée à ce moment de la Préhistoire par le développement de la forêt n’était certainement pas de nature à satisfaire les exigences écologiques de l’espèce, plutôt inféodée aux prairies. C’est néanmoins pourtant dans les forêts qu’elle trouvera refuge et quiétude, jusqu’au Moyen-Âge avant de disparaître définitivement de France.
Au XIIIe siècle, l’aurochs ne subsiste qu’en Europe de l’Est. C’est là, en Pologne, qu’en 1627, le dernier spécimen est connu. En 1920, les frères Heinz et Lutz Heck, respectivement directeurs des zoos de Munich et de Berlin (Allemagne) ont tenté de reconstituer l’Aurochs par élevage sélectif régressif, à partir du croisement de races bovines jugées proches des bovins primitifs.
Le cheval (Equus sp.)
Les chevaux descendent d’un petit animal forestier de l’ère tertiaire, aujourd’hui éteint : l’hyracotherium (Hyractotherioum sp.). De nombreux fossiles, dont les plus anciens datent de 60 millions d’années, permettent de suivre sa longue évolution. S’adaptant aux plaines et aux steppes, il est devenu plus grand. Alors qu’il possédait plusieurs doigts à chaque pied, il a progressivement développé un seul doigt médian, unique point d’appui. La génétique a montré que l’apparition de l’ancêtre commun de tous les équidés modernes remonte à 4 millions d’années. Les deux dernières espèces – ou sous-espèces, de chevaux sauvages européens, connues sont : le tarpan (Equus ferus ferus) et le cheval de Przewalski (Equus caballus przewalskii). La première, éteinte au XIXe siècle, a fait l’objet, au début du XXe siècle, comme l’aurochs, d’une reconstitution par un biologiste polonais et par les frères Heck. Le cheval de Przewalski, lui aussi disparu à l’état sauvage, a pu être réintroduit en nature à partir d’individus domestiques. Il est d’ailleurs envisagé par les chercheurs que cette espèce ne soit pas une espèce sauvage mais tire ses origines de chevaux domestiques retournés à l’état sauvage. Mesurant 1,30 m au garrot, plutôt trapus, ces chevaux vivaient en troupeaux d’une petite dizaine d’individus. Ils sont très proches du phénotype des chevaux préhistoriques.
Comme beaucoup d’herbivores, les chevaux consacrent une part importante de leur temps à s’alimenter, à se reposer et aux relations sociales, qui sont très importantes chez ces espèces. Les chevaux font régulièrement de petites siestes debout, tout au long de la journée. Particularité anatomique bien utile, ils « verrouillent » les articulations des jambes pour ne pas tomber à la renverse en dormant. Cette position leur permet de faire croire à d’éventuels prédateurs qu’ils sont toujours éveillés et donc moins vulnérables. Ils ne dorment toutefois pas systématiquement debout et s’allongent durant la phase de sommeil paradoxal. Animal de la steppe et des milieux ouverts, le cheval a été chassé tout au long du Paléolithique moyen et du Paléolithique supérieur pour sa chair. Les restes osseux attestent de sa consommation dans de très nombreux sites archéologiques de Lot-et-Garonne. En revanche, ce n’est jamais le gibier dominant dans le spectre des espèces chassées.
Les grands prédateurs
Tigre à dents de sabre (Homotherium sp.), lion des cavernes (Panthera spelaea), hyène (Crocuta crocuta spelaea), ours (Ursus sp.), loup (Canis lupus), lynx (Lynx sp.) … les grands prédateurs se nourrissaient des herbivores que nous venons d’évoquer. Nous nous intéresserons ici aux deux seuls qui ont été trouvés jusqu’ici dans les sites archéologiques de Lot-et-Garonne.
Lynx boréal (Lynx lynx)
La hyène des cavernes est une sous-espèce éteinte de la hyène tachetée, aujourd’hui présente uniquement sur le continent africain. Les populations de hyène des cavernes ont fluctué durant la Préhistoire, avec des pics lorsque la grande faune d’herbivores était abondante. En Europe, elle a commencé à décliner il y a 20 000 ans, pour finalement disparaitre il y a environ 12 000 ans. Alors qu’elle est considérée comme un charognard, la hyène des cavernes est aussi une redoutable chasseuse. Elle chasse en bandes, souvent menées par une femelle. Cette stratégie d’acquisition de la nourriture lui procure 70 % de son alimentation. Les 30 % restant sont souvent dérobés aux grands fauves ou prélevés sur des cadavres abandonnés. Ses mâchoires puissantes lui permettent de broyer les os des animaux et de les avaler avec le reste de la carcasse y compris ceux d’éléphants. Ses excréments ont une couleur blanche, liée au fort taux de calcium issu des os. La hyène régurgite les morceaux qu’elle ne peut pas digérer.
L’Ours des Cavernes (Ursus spelaeus)
Apparu il y a 250 000 ans et éteint vers 25 000 ans avant nos jours, l’ours des cavernes (Ursus spelaeus) trouve ses origines, comme l’ours brun actuel (Ursus arctos), chez l’ours de Deninger (Ursus deningeri), espèce européenne d’ours éteinte il y a 100 000 ans. Chez l’ours des cavernes (Ursus spelaeus), le mâle peut atteindre plus de 1,30 mètre au garrot et dépasser 3,50 mètres de hauteur en position dressée, pour un poids moyen d’environ 450 kg. L’ours des cavernes voit sa taille croître pendant les glaciations et diminuer pendant les interglaciaires. Cette adaptation intervient probablement pour réguler la déperdition de chaleur. La dentition de l’ours des cavernes reflète un régime fondamentalement végétarien : molaires surpuissantes et canines moins développées que les autres ours. Ses pattes avant sont plus longues et plus robustes que ses pattes arrière, comme chez le blaireau, autre habitué des galeries souterraines. Cela lui donnait un profil surbaissé au niveau de l’arrière-train.