Gaule, Grèce et Rome antiques
Dans son Art de la chasse, Xénophon (vers 430 à 355 av. J.-C.), philosophe et historien grec, oppose des « chasses divertissements » pratiquées par l’aristocratie à des chasses paysannes. Les premières se révèlent art, support de prestige et entraînement à la guerre, sans exclure les fonctions utilitaires vers lesquelles sont plutôt tournées les secondes, agrémentant la table et défendant les activités agro-pastorales. Il s’agissait aussi de protéger les hommes, tant les grands prédateurs comme le loup ou l’ours ne représentaient pas qu’un péril pour le bétail. Mammifères et oiseaux étaient chassés, y compris les petits oiseaux, capturés à la glu, abattus à la fronde et à l’arc ou capturés à l’aide de pièges comme les lacets ou avec des filets. Il s’agissait aussi et, peut-être plus que tout, de s’adonner à cette pratique aux atours symboliques et passionnels qui semblent traverser les âges : la chasse. La question de l’entraînement au combat est abordée plus loin, dans le chapitre dédié au Moyen-Âge.
Lièvre, renard, chevreuil, cerf, daim et sanglier sont chassés au chien courant, par des chasseurs officiant à pied ou, parfois, montés à cheval. Rabattus vers des filets aux dimensions adaptées à la taille de l’animal – quatre mètres pour le petit gibier et jusqu’à une soixantaine pour le grand gibier – ils sont également tirés à l’arc et au javelot ou, même, affrontés à l’épieu mais également à la lance, à la pique et au coutelas. Chasses paysannes plus discrètes, pour tuer le lièvre au gîte, les bergers utilisent fréquemment comme arme de jet leur « pedum, » bâton noueux recourbé. Rare, le chien d’arrêt était déjà connu. Il semblerait qu’il aboyait à l’arrêt pour lever le gibier. Présageant le « chien d’oysel » médiéval, il arrêtait le petit gibier au gîte pour donner aux chasseurs le temps de positionner les filets au-dessus de l’oiseau ou au-devant des directions de fuite du lièvre ou du lapin.
Les chiens courants, le laconien pour le plus célèbre mais aussi le crétois, le pétronien, le sicambre ou le métagon, pour ne citer que les plus communs, n’avaient peut-être pas grand-chose à envier aux chiens de chasse actuels, si ce n’est que leur finesse de nez, leur façon de chasser, rapide ou « collé à la voie » et la gorge – aptitude à donner de la voix – semblaient varier selon les races et les utilisations. En Gaule, le ségusien, un chien courant, semble déjà présenter les caractéristiques des chiens français : moins rapide que les méditerranéens et très fins de nez, il chasse « collé à la voie. » Le vertragus ou lévrier, chien de vitesse chassant à vue, en relais des chiens courants, permet de prendre le gibier, comme les molosses, qui saisissent de force les grands gibiers. Le metagon, chien de limier, était utilisé pour le rapprocher.
La chasse spectacle d’amphithéâtre
Des « ludi » spectacles offerts par les empereurs et les notables à un peuple qui ne s’en lasse pas et se masse par milliers dans les gradins des amphithéâtres, nous retenons surtout les jeux du cirque et les combats de gladiateurs. Moins connues, les « venationes » voient le jour à Rome dès le VIIIe siècle av. J.-C. Ces chasses spectacle sont données à l’intérieur d’enceintes fermées agrémentées de forêts artificielles, de collines hérissées de rochers et de lacs plantés de roseaux, créés de toutes pièces pour donner l’illusion d’une chasse réelle. À Rome, le Circus Maximus, long de 600 m et large de 200 m, est aménagé dans la plaine entre le mont Palatin et le mont Aventin. Il est flanqué de tribunes accueillant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs. À partir de l’an 80, c’est le célèbre Colisée qui les accueillera. Grandioses, tant par la richesse des décors que par le nombre d’animaux abattus, elles mettent en scène lièvres, renards, chevreuils, daims, bouquetins, cerfs, sangliers ou ours, poursuivis par des chasseurs à pied ou à cheval et tirés par centaines, ainsi que des animaux exotiques : lions, tigres, léopards ou éléphants, capturés en Afrique et en Asie Mineure.
À travers tout l’Empire romain, amphithéâtres et arènes se développent jusqu’au Ve siècle, y compris en Lot-et-Garonne. Agen possédait son propre amphithéâtre, ce qui est peu commun pour une ville moyenne de province. Nous ignorons si ces spectacles cynégétiques avaient lieu à Agen mais cela est fort probable, tant la coutume s’était généralisée dans toutes les provinces de l’Empire romain. Au IVe siècle, en pleine christianisation de la Rome antique, ces « venationes » sont jugées sanguinaires. Diversement appréciées, elles seront interdites dès le VIe siècle. Pourtant, elles se perpétueront sous une autre forme. Jusqu’au XVIIIe siècle, les cours princières d’Europe ont continué à organiser des spectacles cynégétiques au cours desquels les gibiers locaux sont rabattus par centaines vers une ligne de chasseurs, positionnés devant cour et notables, réunis pour le spectacle. Guidés par des palissages, cerfs, sangliers, daims et chevreuils mais aussi lièvres et renards sont tirés à la course ou à la nage, dans des décors somptueux, aménagés pour l’occasion.
Chasses, chasseurs et gibiers du Moyen-Âge
Le Moyen-Âge, longue période historique, s’étend sur un millénaire. Il vient à la suite de l’Antiquité qui, dans sa phase classique, dure également un peu plus de mille ans. D’un point de vue cynégétique, les techniques s’inscrivent dans une continuité évidente. Si la chasse est universellement pratiquée dans l’Occident médiéval, parmi ces peuples chasseurs, la France affirme une singularité. Les deux chasses nobles, la volerie et la vénerie sont peu à peu instituées en éthique et deviennent un art. La battue à pied, la billebaude solitaire ainsi que l’affût et l’approche sont également pratiquées. Perdrix, faisan, héron, grue, oie, canards, cygnes, corvidés, limicoles, outardes ou gélinotte mais aussi cigogne et chouettes sont chassés au vol. Les rapaces employés en volerie bénéficient d’un statut officiel de protection qui interdit leur chasse comme leur piégeage. Leur capture est réservée aux seuls professionnels chargés de leur affaitage. Cerf, chevreuil, sanglier, daim et lièvre sont chassés à courre comme, dans une moindre mesure, le lynx, le renard, la loutre et le loup. Ce dernier était néanmoins plus opportunément pris au piège ou chassé à l’affût. Le bouquetin, comme les isards ou les chamois, étaient tirés ou rabattus pour être pris aux filets.
Les ours sont également tirés, parce qu’ils ne se laissent pas chasser par les chiens et leur font face immédiatement. À l’aube du XIe siècle, les ours commencent à se raréfier. Vivant dès lors plutôt en montagne, ils s’autorisent un retour dans les vallées et en plaine lorsque la pression humaine se relâche, notamment à l’occasion de guerres ou d’épidémies. Au tournant des IXe et Xe siècles, l’aurochs et le bison disparaissent progressivement des régions les plus occidentales. Les petits mammifères sont chassés au chien courant et pris par les lévriers ou capturés dans des toiles et panneaux. Les grands mammifères sont, soit pris par les chiens de force, soit rabattus par des haies et capturés dans des filets (toiles et panneaux). Les lévriers sont découplés par relais, et jouent un rôle déterminant dans la réussite du courre du cerf mais aussi dans celle de la chasse du sanglier et du loup ou encore pour la chasse aux haies. On découplait d’abord les chiens légers qui harcelaient le cerf, puis les plus lourds qui s’en saisissaient. Les chiens orientaux, ramenés des croisades par le Roi Saint Louis (règne de 1226 à 1270), ont créé une lignée de chiens gris dès le XIIIe siècle. Ils côtoient les chiens fauves de Bretagne, les courants d’Alençon et les chiens de Saint-Hubert.
Pour la chasse du sanglier, les chiens de force sont plus appropriés que les lévriers. Dénommés dogues ou mâtins, gros chiens de 95 cm au garrot, ils étaient suffisamment vigoureux pour assaillir et retenir un sanglier. Leur nez retroussé leur permettait de respirer sans encombre alors qu’ils maintenaient leur prise de leurs puissantes mâchoires. La forte musculature de leur coup massif leur permettait de garder prise, même lorsqu’ils sont balancés de tous côtés par le sanglier ou l’ours. Décrits comme massifs et féroces, autant envers le gibier que, parfois, envers leur maître, ils étaient muselés et tenus en laisse. On les lâchait seulement au moment de coiffer l’animal. Les croisements ultérieurs avec leurs homologues anglais et du lévrier leur permirent de gagner en vitesse. Ils étaient alors dénommés Mastiffs ou Vautres. Il semblerait que ces chiens soient l’origine de la race locale du Dogue de Bordeaux. Ces derniers étaient également affectés à la garde des troupeaux.
Image controuvée d’une chasse réservée à la noblesse
Au Moyen-Âge, la chasse n’est en rien réservée à l’aristocratie, la possession des chiens de chasse ne l’est pas plus mais il va de soi que l’élevage d’une meute n’était pas accessible à tout le monde. La mise en œuvre de grandes traques ou chasses à courre suppose de disposer, outre la meute, de matériels et d’un équipage d’auxiliaires conséquents mais, surtout, d’une très vaste propriété ou, pour le moins d’un droit d’usage sur de grandes étendues de forêts et champs.
Plus modestement, dans les campagnes, on chassait avec des chiens en petit nombre et plutôt polyvalents, parfois pour le compte du seigneur mais aussi pour son propre compte. Aux XIIe et XIIIe siècles, les rois d’Angleterre – rappelons que l’Aquitaine était sous domination anglaise à ce moment de l’histoire, veillaient à limiter l’efficacité de ces chiens pour prévenir une trop forte pression de chasse populaire sur le gibier qu’ils souhaitaient courir. Ils allaient jusqu’à ordonner l’amputation d’un orteil ou l’ablation d’une pelote pour les chiens des chasseurs, afin d’éviter qu’ils ne chassent trop efficacement les cerfs et les lièvres.
Ce n’est qu’à la toute fin des mille années que couvre le Moyen-Âge, en 1396, que le Roi Charles VI (règne de 1380 à 1422) fait interdiction de chasser à toute personne autre que : noble ; bénéficiant d’un privilège royal, gens d’Église ; disposant de ce droit par naissance ou obtention de titre ; bourgeois pratiquant sur ses terres. Cette restriction s’entend toutefois comme limitée par les très nombreux usages accordés antérieurement et coutumes préexistant en province – et elles étaient nombreuses, notamment dans nos régions du Sud-Ouest. Autre dérogation, posséder des chiens et chasser bêtes noires et fauves, sangliers et cervidés, qui causent des dégâts aux cultures, reste autorisé à tout un chacun dans les campagnes, avec toutefois l’obligation de remettre le gibier tué à son seigneur.
En 1452, le Roi Charles VII (règne de 1422 à 1461) interdit aux non-nobles de chasser le grand gibier, sans exception. Mais il faut attendre l’Ancien Régime (XVIe – XIIIe siècle) pour voir le Roi François Ier (règne de 1515 à 1547) sceller le sort des roturiers, en leur interdisant toute chasse par une Ordonnance de 1533. Celui-là même qui fait ériger le château de Chambord, pour la chasse, soustrait définitivement au peuple toute possibilité de s’adonner aux bonheurs de la chasse, ce qui permet de comprendre l’importance que la pratique cynégétique pouvait revêtir. Il faudra attendre l’abolition des privilèges, en 1789, pour voir tomber cette interdiction.
« Chasses vilaines »
La chasse « vilaine » ou chasse des gens des campagnes se pratiquait à tir, par piégeage ou par déterrage. Il ne faut pas chercher de connotation péjorative derrière le terme « vilain » qui, tiré du bas latin « villa, » désigne la propriété agricole. La chasse à tir peut être pratiquée selon trois techniques principales. La chasse à « l’approche dissimulée » consiste à approcher le gibier pour le tirer à portée, en se dissimulant derrière une vache ou un cheval, afin de ne pas éveiller son attention. À défaut de disposer de ce bétail, il est possible d’user du subterfuge en utilisant une forme factice ou encore une charrette de fourrage par exemple. « L’affût silencieux à poste » consiste à s’embusquer près d’une coulée, d’un lieu de gagnage ou d’une souille de sanglier, à l’instar des chasses silencieuses actuelles. Le poste peut être surélevé, dans les arbres ou au sol, dissimulé par la végétation. Pour les oiseaux, le tir était pratiqué à l’arc ou à la fronde. L’arbalète, dont l’acquisition se révélait particulièrement onéreuse, est peu utilisée au Moyen-Âge. Quelques images attestent aussi d’une utilisation sporadique de la sarbacane. Si l’épieu et les nombreuses armes sont légion pour le seigneur, le pâtre utilise longtemps un bâton pointu durci au feu pour affronter les carnassiers. Incontestablement, pour le petit gibier, la chasse à l’aide de lacs, tenderies, panneaux, filets tendus ou traînés et de gluaux était la plus répandue. Pratiquées pour le plaisir, pour le commerce ou pour la protection des cultures, ces techniques permettaient de capturer les petits mammifères mais aussi et surtout les oiseaux.
Pour les premiers, lièvre, lapin, renard, mustélidés et même loup sont concernés. Quant aux oiseaux, sont concernés : la palombe, notamment en Gascogne où elle était réputée trouver gîte et nourriture dans les forêts de chênes-verts, le pigeon colombin, la tourterelle des bois, la colombe, les perdrix rouge et grise, les pluviers, la caille, l’alouette, le faisan, la grive, le merle, l’étourneau ou encore la bécasse. Cette dernière était chassée à la tombée de la nuit avec des filets, très certainement posés au sol, à l’orée du bois où elle se pose souvent pour gagner à pied sa remise diurne.
Le déterrage, enfin, s’adressait au blaireau. Et il faut dire que les techniques ont certainement bien peu changé depuis lors. Elles sont toutefois peu décrites dans les traités de chasse qui ne lui accordent que peu d’intérêt. En revanche, elle semble avoir été très largement pratiquée, tant la fourrure, le cuir et la graisse du blaireau étaient prisés. On le chassait aussi aux poches, en disposant des filets sur toutes les sorties de son terrier dès le soir pour qu’il reste à l’intérieur, puis on introduisait des chiens de terrier le matin, afin de le forcer à sortir. Ces poches sont des filets du même type que les bourses utilisées pour coiffer les gueules des galeries des lapins dans lesquelles on introduit des furets pour les obliger à sortir afin de les capturer.
Cultures cynégétiques françaises – Une longue filiation
Les chasses de l’Antiquité offrent un panorama saisissant, non pas des prémices mais de l’expression déjà affirmée des marqueurs qui caractérisent aujourd’hui les cultures cynégétiques françaises, tant sur le plan technique, que d’un point de vue symbolique. Plusieurs siècles de domination romaine sont inévitablement venus créer des conditions sans précédent pour la diffusion des cultures et des traditions à travers l’Europe occidentale et le Bassin méditerranéen. Dans une conception très latine, l’acte cynégétique était et est demeuré ostentation et bouleversement de l’ordre de la nature. Un rapport singulier au sauvage s’exprime dans le jeu-duel avec le gibier. La référence latine doit être considérée selon une acception large, en tant qu’aire méditerranéenne. Les apports étrusques, grecs, perses, égyptiens ou venus d’Asie Mineure ont dû être déterminants et, bien qu’ils soient mal documentés, des emprunts à la Gaule et aux contrées d’Europe plus septentrionales sont certainement à envisager.
Il semblerait que la place centrale que le chien courant occupe dans la chasse française, soit observable en Gaule dès cette période très ancienne. Il y a fort à parier que, déjà, la mélodieuse mélopée de la menée faisait aussi partie de cette tradition « française » en pleine construction. À défaut d’écrits permettant de conduire des investigations plus loin dans le temps, il est difficile de situer avec plus de précision les sources historiques et géographiques de cette « chasse française au chien courant ». Avec le Moyen-Âge, ce sont mille ans d’exercice tout aussi passionné et assidu qui continuent à inscrire pratiques et concepts cynégétiques français, à la fois, dans cette tradition latine et dans cette singularité du chien courant. L’utilisation de ce dernier, loin d’être une spécificité française, devient la norme partout en Europe. En revanche, c’est bien en France qu’elle s’installera en idéal-type et il est saisissant de remarquer que cette spécificité pourrait être avérée dès l’Antiquité, chez les « chiens gaulois ».
En France, la chasse est régie par un droit plutôt exhaustif. Il s’est construit sur les bases du droit romain, que les usages médiévaux sont peu à peu venus parfaire et compléter. Pour autant, l’œuvre, jamais achevée, relève d’une adaptation constante tout au long de l’histoire et encore aujourd’hui. Le statut actuel de la faune sauvage « res nullius » est une constante juridique depuis que le droit romain est venu l’instituer. Si la faune sauvage est, par définition, celle qui n’a pas de maître et n’appartient à personne, elle change de statut et devient la propriété de celui qui s’en est emparé par la chasse ou la capture, pour tant que celle-ci soit intervenue légalement. La Loi salique, instaurée dès Clovis (règne de 431 à 511), premier des Rois francs, reconnait ce statut « res nullius » en le précisant. Déjà, était attaché à la propriété du fond, le droit de chasse, à savoir : le droit d’usage qui permet d’y pratiquer ou d’y administrer la chasse. Ces principes constituent, encore aujourd’hui, les bases juridiques du droit de la chasse.
Sous la Loi salique, celui qui tuait le cerf lancé par les chiens d’autrui se rendait coupable d’un forfait. Cette notion n’a plus de valeur juridique aujourd’hui. En revanche, elle demeure une des constantes de l’éthique de la chasse au chien courant. Les Carolingiens (dynastie de Pépin le bref) ont confirmé une dichotomie qui s’opère dès les débuts du haut Moyen-Âge et, certainement, déjà à l’Antiquité ou même avant. La forêt appartient à tous, tandis que les terres essartées deviennent propriété privée. Il en est de même pour la chasse qui restera libre en forêt, jusqu’à ce que pouvoirs royal et ecclésiastique installent peu à peu un régime de propriété pour les forêts qu’ils exploitaient. Le droit de chasse en forêt pouvait alors être cédé et il l’était souvent, avec parfois un abandon dans son intégralité aux communautés villageoises, en dehors des forêts du Bassin parisien. Là aussi cette gestion de l’accès au territoire pour pratiquer la chasse constitue un socle de principes sur lesquels se sont construits ceux qui prévalent encore aujourd’hui.